TÉLÉVISION ET RADIODIFFUSION

TÉLÉVISION ET RADIODIFFUSION
TÉLÉVISION ET RADIODIFFUSION

LA LITTÉRATURE considérable qui a déjà été consacrée à la radiodiffusion et à la télévision tend en général à considérer celles-ci comme une spécialité de l’équipement moderne et un trait saillant de la civilisation contemporaine. Inspirée d’une idéologie où le progrès technique s’allie naturellement au mieux-être social, elle voit avant tout dans ces techniques nouvelles de communication des moyens de propagation de la culture existante, d’éducation accélérée, de promotion sociale, bref de multiplication de l’acquis. Si les dangers inhérents à une diffusion massive – totalitarismes politique et culturel, uniformisation, passivité de l’auditeur et plus encore du téléspectateur – apparaissent trop évidemment, les spécialistes comptent sur de nouveaux progrès techniques (câbles et vidéo-cassettes notamment) pour restaurer la diversité des groupes sociaux et l’initiative individuelle, qui n’auraient ainsi été que provisoirement compromises par la diffusion hertzienne.

Une autre approche, semble-t-il, est préférable: au-delà de l’actualité immédiate, tenter de se placer «en amont» du phénomène pour le situer dans son contexte et mieux saisir ainsi ses caractéristiques fondamentales, qui constituent en définitive la radiodiffusion et la télévision comme moyens d’expression et modes de communication originaux. Après l’esquisse d’une rapide embryologie, on verra comment la «radio-télévision» bouleverse le système culturel, social, politique, dans lequel elle a fait irruption, alors qu’elle était censée le servir.

Comme le cinéma, la photographie ou le disque, la radio et la télévision œuvrent à partir de simulacres : l’image ou la séquence filmée ou télévisée, le plan ou la séquence sonore, diffusés en direct ou fixés sur la bande magnétique, sont à la fois des empreintes des événements réels, avec lesquels ils entretiennent un rapport de causalité, et, pour l’observateur, des représentations de ces mêmes événements, qu’ils évoquent par ressemblance, en dépit de différences finalement considérables (réduction à deux dimensions, discontinuité du montage s’opposant à la continuité du réel, séparation des «isotopes» son et image, etc.). C’est cette équivoque entre causalité et figuration qui trouble la plupart des analyses, où l’on fait état d’un «réalisme» de la radio-télévision, sans commune mesure avec celui des arts traditionnels.

À l’intérieur de ce groupe, désigné comme celui des arts relais , la radio-télévision ajoute aux pouvoirs de l’enregistrement sur supports optiques, magnétiques, etc., ceux de la diffusion . Ses possibilités propres (instantanéité, ubiquité) lui ont aussitôt donné, dans le domaine de l’information, une importance infiniment supérieure à celle qu’avaient pu avoir les «actualités» cinématographiques.

Aux débuts de la radio, c’est à l’aspect de retransmission qu’ont été exclusivement sensibles non seulement le grand public mais aussi les politiques – et plus tard les pédagogues – qui n’y ont vu qu’une espèce de super-téléphone entre eux et leur auditoire. Les professionnels, de leur côté, se sont uniquement attachés à la fidélité de la reproduction, s’évertuant à reconstituer au mieux le phénomène sonore.

Dans un deuxième stade – atteint d’emblée par la télévision, héritière dès sa naissance de l’expérience acquise par le cinéma et la radio –, les professionnels se sont avisés de moyens d’expression spécifiques qui tenaient, cette fois, aux différences que le simulacre audiovisuel présentait avec l’événement. À mesure que se formaient des artisans consommés du micro et de la caméra, les arts relais découvraient, outre leur pouvoir de reproduire, celui de «créer».

Un troisième stade, qui ne concerne plus le grand public mais des milieux plus restreints de chercheurs, est atteint avec l’emploi du studio comme laboratoire expérimental: fixés sur la bande magnétique ou la pellicule, les sons et les images peuvent être désormais répétés à volonté, étudiés pour divers motifs, rapprochés ou disséqués. Un domaine nouveau de la connaissance semble ainsi apparaître, revendiquant souvent le précédent linguistique.

Cependant, au cours des dernières années, le développement foudroyant de la radio-télévision a fait passer au premier plan les problèmes inhérents à la diffusion massive des messages, qui bouleverse de fond en comble les conditions de la communication culturelle, crée d’autres rapports sociaux et se traduit par l’apparition d’un nouveau pouvoir , encore mal connu et, à plus forte raison, mal contrôlé.

Traditionnellement, une relation quasi personnelle unissait le créateur à un milieu privilégié de connaisseurs (mécènes, clients, amateurs). Ce schéma archaïque domine encore nombre d’analyses contemporaines qui s’interrogent sur le rapport entre ce même créateur et les millions d’auditeurs et de téléspectateurs qu’il est censé atteindre par l’intermédiaire des mass media. Désormais, les partenaires naturels de la communication, l’auteur et son public, sont en fait séparés par toute une machinerie complexe sur laquelle ils n’ont plus d’action directe.

Tout d’abord, avec les mass media (presse comprise), un nouveau personnage a fait son apparition: interviewer, vulgarisateur, responsable d’une série d’émissions; il assure le lien entre les milieux restreints, où continue à s’élaborer la réputation d’un artiste ou d’un savant, et le grand public. Quotidiennement obligé de trier dans une information en expansion constante, ce médiateur dispose d’une responsabilité de choix qu’il exerce plus ou moins consciemment.

Surtout, auteurs et médiateurs dépendent désormais du producteur-diffuseur , détenteur du pouvoir économique, administratif et politique, qui peut seul leur donner les moyens de produire et le droit de diffuser. C’est donc l’institution , privée ou publique, qui entretient avec le public, sinon un dialogue, du moins une relation obéissant soit aux lois de l’offre et de la demande, soit à l’initiative d’un pouvoir. Au passage, le message devient produit et l’échange consommation . Dès les premières machines à communiquer (l’imprimerie), on a vu ainsi surgir le magistère de l’éditeur. La pluralité d’entreprises encore artisanales et de publics différenciés a longtemps laissé des marges à l’initiative des groupes créateurs. Cet équilibre est bientôt compromis au cours du développement du cinéma, le pouvoir du producteur et, plus encore, du distributeur devenant prépondérant. Au terme de cette évolution, les radio-télévisions apparaissent enfin comme des distributeurs privilégiés, disposant cette fois de tout le public . Les monopoles s’exercent alors aussi bien sur les réseaux de diffusion que sur les systèmes de production spécifiques: «direct» ou «différé», vidéo ou film, et bientôt vidéo-cassettes, câbles et satellites.

À quelque système qu’ils appartiennent, les organismes de radiodiffusion et de télévision obéissent en définitive aux mêmes postulats jamais remis en cause et qui sont: la transposition à la culture du modèle industriel, c’est-à-dire l’idéal de «bonne gestion», de «rendement», d’«expansion» (toujours plus d’heures d’émissions, de chaînes, de messages); la fascination du plus grand nombre, des courbes d’audience et du «téléspectateur moyen», ce commun dénominateur imaginaire entre des groupes socioculturels qui demeurent encore différenciés, voire opposés.

Les résultats, dans le monde entier, sont les mêmes. Véritable «monstre du Quaternaire», l’entreprise de radio-télévision se développe sans souci des répercussions sociales de son activité, sans connaître d’autre but que celui de sa propre croissance, écrasant au passage les autres centres d’initiative culturelle, provoquant une crise de l’enseignement traditionnel que cette «école parallèle» rend dérisoire, tandis que s’estompe la notion de «service public». La multiplication des chaînes s’accompagne d’une monotonie grandissante des programmes, chacun ne songeant à opposer à une émission de type «grand public» qu’une émission du même type; complémentairement, l’écart se creuse entre des «majorités silencieuses», de plus en plus passives et conformistes, et des minorités qui, ne trouvant plus dans la société qui les entoure ni moyens de s’exprimer ni miroirs où se reconnaître, tendent à se marginaliser. Enfin, la censure des institutions, effrayées par leur propre pouvoir et soucieuses de n’offenser personne, n’aboutit qu’à l’indifférence croissante de publics saturés de messages dont aucun ne leur est spécialement destiné.

On voit ainsi qu’après quelques dizaines d’années positives, souvent décrites comme une «ouverture au monde», les mass media risquent d’ajouter aux ravages de la pollution matérielle ceux d’une pollution mentale , dont ils seraient à la fois le produit et l’agent. Plutôt que de poursuivre des recherches ponctuelles sur les «effets de la télévision», mieux vaudrait considérer que la crise actuelle des organismes de radio-télévision dans le monde entier ne saurait être disjointe de l’ensemble des problèmes qui posent à nos contemporains l’alternative d’une expansion indéfinie ou contrôlée.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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